Louis 1er, roi d’Angleterre?

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Le roi Louis VIII est parfois négligé dans l’étude de l’histoire de France, son court règne (1223 – 1226) étant éclipsé par ceux de son père et de son fils, plus célèbres. Mais si Louis a été peu remarqué en France, il a été encore plus ignoré en Angleterre où il fut un jour proclamé roi.

C’est exact – un prince français de la maison capétienne fut un jour invite par les nobles d’Angleterre à envahir le pays et s’emparer de la couronne. Comment cela-t-il pu arriver ?


En 1215, le roi Jean n’était pas populaire. Contraint par ses barons, jusque-là patients, à signer la Magna Carta, il revint immédiatement sur sa parole et tenta de révoquer le document. Ses forces attaquèrent et ravagèrent les terres des signataires. Ayant échoué à contrôler Jean, les barons prirent une mesure logique mais sans précédent en décidant de le renverser. Mais ils n’étaient pas républicains : il fallait un roi à l’Angleterre. Qui devrait-il être ? Henri, le fils de Jean, avait huit ans, et l’autre héritier évident, Arthur, le neveu de Jean, avait disparu dans des circonstances mystérieuses quelques années auparavant, et la rumeur voulait qu’il ait été assassiné sur l’ordre de Jean.
Les barons avaient besoin d’un homme fort, un homme d’expérience, un homme de sang royal; ils se mirent à chercher de l’autre côté de la Manche et en trouvèrent un.
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Louis VIII

Louis était né en 1187; il était le fils aîné et héritier du roi français Philippe Auguste; en 1200 il épousa Blanche de Castille, une des petites-filles d’Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine via leur fille Aliénor et son mari Alphonse VIII de Castille. Le roi Philippe avait été en conflit à différents niveaux avec Henri II et ses fils pendant la majeure partie de la vie de Louis, et une fois que Louis eut atteint sa majorité il rejoignit son père en campagne contre le roi Jean.

Le père et le fils réalisèrent de grands profits contre l’infortuné roi anglais, conquérant la Normandie et d’autres territoires qui, bien que situés en France sur le plan géographique, avaient été sous contrôle anglais pendant de nombreuses années.

En 1215 Louis avait gagné une réputation de guerrier brillant, ayant acquis ses compétences non seulement en combattant les Anglais mais aussi dans sa croisade contre les hérétiques albigeois dans le sud de la France. Il était en outre réputé être honnête, moral, un homme de parole – toutes choses que Jean n’était pas.

Quand les barons se mirent à chercher un nouveau roi, il leur fallait quelqu’un de sang royal: ils ne pouvaient pas se contenter d’élire un roi parmi eux. Cependant, nul besoin pour le candidat favori d’être strictement le plus proche héritier ; l’aînesse était encore un concept un peu trouble à l’époque, ainsi quelqu’un apparenté au roi précédent et assez fort pour revendiquer et conserver le trône serait un meilleur choix que quelqu’un de plus proche par les liens du sang mais considéré être plus faible (comme cela avait été prouvé quelques années auparavant quand les barons avaient accepté le roi Étienne, qui était le neveu du roi précédent mais en aucun cas son héritier le plus proche).

Louis était marié à la nièce de Jean, ce qui lui permit de revendiquer un lien par le sang au trône par le droit de sa femme ; il avait les ressources nécessaires pour organiser une campagne, les hommes pour la mener et les compétences nécessaires pour la remporter. Et il avait de nombreuses raisons de vouloir un royaume qui lui serait propre : en 1216 c’était un homme actif de 28 ans qui ne deviendrait pas roi avant de nombreuses années, grâce à la santé robuste de son père, par conséquent la conquête d’un royaume bien à lui devait sembler un prospect alléchant. Il fit construire et équiper une flotte, navigua depuis la France et arriva sur les côtes anglaises le 21 mai 1216.

Au début tout se passa très bien : environ la moitié des barons le rejoignit immédiatement, et des châteaux et villes se rendirent à lui sans résistance. Jean fuit vers l’ouest de l’Angleterre plutôt que de l’affronter. Louis marcha triomphant vers Londres ou il fut proclamé roi, et il envoya des lettres à tous les barons restants pour leur demander de venir lui rendre hommage. En quelques mois il avait le contrôle d’environ deux tiers des barons et de plus de la moitié du pays.

Mais en Octobre 1216 Jean fit la seule et unique chose qui aurait bien pu lui rendre service : il mourut inopinément.

On pourrait penser que cela aurait été le moment de triomphe tant attendu de Louis ; son ennemi étant à présent décédé, ceux qui avaient continué à se cramponner à Jean se rendrait enfin compte qu’il n’y avait plus de quoi se battre et se rallierait sûrement à Louis ? Mais c’est tout le contraire qui se produisit. Jean avait laissé cinq enfants ; deux d’entre eux étaient des fils, dont l’aîné, Henri, qui avait neuf ans. Les derniers royalistes le firent couronner en tant qu’Henri III et lui prêtèrent allégeance.

Cela laissa un dilemme aux autres barons. Ils avaient soi-disant renversé Jean à cause de toutes les lois qu’il avait enfreintes et les torts qu’il avait causés – ils pouvaient difficilement porter les mêmes accusations envers un jeune garçon. Et Louis, tout homme de principe qu’il était, se trouva être moins contrôlable qu’ils ne l’avaient espéré, et ne leur donnerait probablement pas la liberté dont ils avaient tant besoin afin de poursuivre leurs propres intérêts.

L’opinion publique se mua rapidement sur le compte de Louis – il n’était plus le héros conquérant venu sauver les barons du cruel Jean, mais un tyran étranger attaquant un petit garçon. Les déser­tions commencèrent.

Louis n’était pas du genre à abandonner facilement, et tint bon pendant encore quelque temps. Mais le roi Philippe, en France, refusa de continuer à envoyer de l’argent et des troupes, et Louis dut faire pour le mieux avec ses propres forces en baisse. En mai 1217 il dut diviser son armée en deux afin de se battre à la fois à Douvres et plus au nord, mais cela ne lui laissa pas assez d’hommes pour fonctionner correctement dans aucune des deux zones de combat. Il ne put pas s’emparer du château de Douvres, et ses forces du nord furent battues à plate couture à Lincoln, un grand nombre de ses nobles furent capturés et beaucoup des Anglais parmi eux se tournèrent vers Henri et son régent Guillaume le Maréchal.

Pendant ce temps-là en France la femme de Louis, Blanche, rejetait le refus du roi, et elle fit rassembler d’autres troupes qui prirent la mer pour l’Angleterre en août 1217. Mais elles furent interceptées par une flotte anglaise, défaites dans une bataille navale près de Sandwich le 24 août, et ne parvinrent jamais jusqu’à Louis. Il se rendit à l’inévitable, scella un traité en septembre, et se retira.

Le règne court de Louis est souvent négligé dans les livres d’histoire, dans lesquels la succession de dates de règne des rois passe directement de Jean à Henri III. Mais ce fut une période charnière de l’histoire anglaise et l’un des grands « et si ? » de tous les temps. Aurait-il dirigé l’Angleterre comme un royaume à part ou ce royaume aurait-il fait partie intégrante de la France ? Que se serait-il produit dans le futur ? Qu’en aurait-il été de la guerre de Cent Ans ? Il est fascinant de spéculer sur toutes les possibilités.

Ayant subi une défaite politique mais pas dans la bataille, et avec sa réputation intacte, Louis retourna en France, où il prit part à un certain nombre de campagnes militaires avant de succéder au trône en 1223 en tant que Louis VIII. Il prit ensuite une certaine revanche contre les Anglais en conquérant une grande partie du reste de leurs territoires en France, avant de reporter son attention une fois de plus contre les Albigeois. Il était alors presque invincible sur le plan militaire, mais il contracta la dysenterie – une maladie commune parmi les soldats logés dans des conditions insalubres – et il mourut en novembre 1226, à l’âge de 39 ans.

Louis IX, âgé de 12 ans, succéda à son père Louis, et devint l’un des plus grands rois de France. En effet, comme le règne de Louis VIII se trouva coincé entre ceux de son célèbre père et de son fils encore plus célèbre, on peut tout aussi bien le nommer le roi de France peu connu que le roi d’Angleterre inconnu.

 
Traduction: Alexandra Galibert